D’ici 2050, la France doit atteindre la neutralité carbone. Tous les secteurs fortement émetteurs, dont celui du bâtiment et des travaux publics, doivent réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre. Les travaux, partie la plus visible d’un chantier, ne font pas exception, même si cela implique des coûts supplémentaires de l’ordre de 20 à 50 % et des investissements importants. Des entreprises telles que Bouygues, Loxam, TotalEnergies, Kiloutou, Colas et Vinci mettent en place des stratégies pour atteindre ces objectifs.
Le secteur du bâtiment et des travaux publics est responsable de plus de 75% des émissions nationales de gaz à effet de serre. Afin d’atteindre l’objectif national de neutralité carbone à l’horizon 2050, la loi ” Climat-Énergie ” de 2018 et la loi ” Climat et Résilience ” de 2021 ont toutes deux demandé au secteur fortement émetteur d’établir une feuille de route d’ici le 1er janvier 2023. Sont concernés le secteur du bâtiment, qui représente 25% des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que le secteur des travaux publics. Avec l’aide de sa fédération nationale, trois cabinets de conseil ont été mandatés pour analyser l’empreinte carbone du secteur. Il en ressort que les flux de marchandises, d’énergie et de personnes empruntant ses infrastructures sont responsables de 50% des émissions de gaz à effet de serre, contre 3,5% pour l’acte de construire lui-même.
Des actions visibles
La Fédération nationale des travaux publics a constaté que, malgré la présence très visible des engins de chantier, peu d’alternatives aux véhicules et machines à moteur diesel existent et sont coûteuses. Le prêt de la BEI à Loxam contribue à changer cette situation, en permettant à l’entreprise d’acquérir des machines alternatives telles qu’un camion-benne électrique et un générateur d’hydrogène, tous deux loués à un artisan depuis 2021. Cette initiative pourrait contribuer à réduire les inquiétudes du public concernant les gaz d’échappement et le bruit associés aux engins de construction traditionnels.
Olivier Grisez, Directeur Général de Loxam France, précise que Loxam est en train d’acquérir une courbe d’expertise dans ce domaine. Sachant que les chantiers ont une durée de vie limitée, l’hydrogène peut servir d’alternative au diesel pour les machines lourdes, permettant une solution énergétique temporaire. Néanmoins, selon David Habrias, PDG et fondateur de Kardham – qui se spécialise dans l’immobilier commercial – l’électrification et l’hydrogénation des camions et des engins de chantier peuvent déplacer la pollution des fumées vers les sites où sont produits les équipements et l’énergie.
Des alternatives plus chères
L’utilisation d’équipements alimentés par des piles à combustible sur les excavatrices de plus de 20 tonnes est déjà une réalité. Plusieurs motoristes étudient également les moteurs à combustion à hydrogène et évaluent leurs émissions de GES, mais ces solutions sont actuellement plus chères de 20 à 50% par rapport aux moteurs traditionnels. Pour accélérer la transition, le patron de Loxam a proposé de modifier les systèmes d’incitation existants – tels que les certificats d’économie d’énergie (CEE) ou les bonus écologiques – pour encourager le passage à des moteurs à combustion plus propres.
TotalEnergies s’est associé à Saria pour collecter et approvisionner la bioraffinerie de Grandpuits (Yvelines) en huiles de cuisson usagées et en graisses animales afin de produire du carburant aviation durable. Ce biocarburant est principalement destiné à l’industrie aéronautique et aux aéroports d’Orly et de Roissy mais peut également être utilisé dans des moteurs thermiques, comme les groupes électrogènes. Selon Elisa Coeuru, directrice en région parisienne, ce carburant a le potentiel de réduire les émissions de CO2 d’au moins 80%.
L’utilisation de matériel peu polluant sur les chantiers a un coût, mais elle est bénéfique pour les élus, les riverains et l’environnement en termes de bruit, de qualité de l’air et d’émissions de gaz à effet de serre, selon Olivier Grisez, PDG de Loxam France, qui collabore avec Carbon4 pour créer un modèle équivalent CO2. Olivier Colleau, président exécutif de Kiloutou, rappelle par ailleurs que ces équipements représentent 20% des GES d’un chantier et souligne l’importance de la location comme solution durable, d’une meilleure maintenance et d’un équipement adapté à moyen terme.
Quelques limites
Kiloutou, une société de location, teste des moteurs à gaz sans particules fines et des moteurs électriques sur ses véhicules de livraison et ses vélos-cargos pour livrer des outils dans les zones urbaines. Par ailleurs, les véhicules électriques doivent “dépasser deux limites” pour être utilisés sur les chantiers, selon l’entreprise. Cela nécessite l’accès à des solutions de recharge, qui ne sont pas monnaie courante sur les chantiers, et exigent une planification à long terme des infrastructures publiques. En outre, il est nécessaire de former les membres de l’équipe interne et les clients à la maintenance de ces nouvelles machines. Il y a dix ans, lorsque Kiloutou a commencé à aborder la question de ses émissions indirectes, ce n’était pas une priorité pour les clients. Cependant, au cours des deux dernières années, cette question est devenue plus importante.
L’utilisation du béton bas-carbone
Florence Marin-Poillot, directrice innovation, environnement et qualité chez Vinci Construction, ne croit pas que “chantier zéro émission” soit synonyme de “zéro activité”. À son niveau, elle se concentre sur trois domaines lorsqu’il s’agit d’émissions : le scope 1 (consommation d’essence), le scope 2 (consommation d’électricité) et le scope 3 (en amont avec les matériaux et en aval avec les bâtiments et infrastructures). Vinci Construction reconnaît que le ciment, un composant clé du béton, peut représenter jusqu’à 7 % des émissions mondiales de CO2. Pour lutter contre ce phénomène, l’entreprise a mis au point sa propre gamme de solutions de béton à faible teneur en carbone, dont il a été démontré qu’elles permettent de réduire les émissions de GES jusqu’à 60 % tout en conservant les mêmes propriétés.
«Florence Marin-Poillot, directrice de l’innovation, de l’environnement et de la qualité chez Vinci Construction, a déclaré qu’avec le CHU de Nîmes, ils prennent des mesures pour éviter le rejet de plus de 1 000 tonnes de CO2. Leur propre équipe de recherche et développement a conçu des formules de béton à faible teneur en carbone pour leurs partenaires locaux.
Le directeur général et fondateur de Kardham, spécialisé dans l’immobilier d’entreprise, s’est inquiété du label “chantier zéro émission”, notant que si la certification existe, elle n’en est qu’à ses débuts et que certaines entreprises font plus d’actions concrètes que de la simple communication.
Des professionnels dubitatifs
Anne-Laure Levent, directrice de l’environnement chez Colas, évoque les “chantiers à émissions de carbone réduites”, une charte qui prend en compte le cycle de vie d’un bâtiment, de l’approvisionnement en matériaux à leur réutilisation ou recyclage. Des progrès sont réalisés dans ce domaine, les fournisseurs de béton développant le transport fluvial. Cela contribue à son tour à la comptabilité carbone de l’entreprise, son service financier rendant plus “lisible et détaillé” le calcul de son empreinte carbone. “Cela permet de bien définir les sources des émissions carbones des chantiers en fonction de leur typologie et de pouvoir faire de la pédagogie auprès des collaborateurs”, souligne-t-elle.
En mettant en place une formation à l’éco-conduite et en réduisant le taux de marche au ralenti, NGE – quatrième groupe français de construction – s’associe à Hiboo pour surveiller et réduire la consommation de carburant. Hiboo collecte et analyse les données de plus de 20 000 équipements en France et en Europe, ce qui permet de mesurer la consommation de carburant, le taux de marche au ralenti et les temps de fonctionnement. Pour ajouter à la durabilité de leurs opérations, l’entité a également mis en place un carburant biosourcé composé à 100% de colza cultivé et traité en France. “L’analyse et le traitement de ces informations peuvent mesurer l’empreinte carbone des chantiers et piloter les actions destinées à la réduire”, souligne Clément Bénard, CEO de Hiboo.
D’énormes investissements
Quelle que soit l’approche adoptée par l’industrie – réduction de la consommation et de l’utilisation, ou adoption de l’innovation grâce à l’hydrogène et à l’électrification généralisée – les investissements nécessaires restent considérables. Selon les équipes d’experts mandatées par la Fédération nationale des travaux publics, le premier scénario coûterait environ 16,2 milliards d’euros par an d’ici 2050, tandis que le second coûterait 29,9 milliards par an, soit un total compris entre 486 et 897 milliards d’euros. Dans le secteur de la construction, la nouvelle réglementation environnementale, dite “RE2020”, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022 et recommande l’utilisation de matériaux décarbonés, entraîne un surcoût moyen de 7%, selon la Fédération française.
Cette dernière oblige « chaque secteur fortement émetteur » à rédiger une feuille de route établie conjointement par les représentants des filières économiques, le gouvernement et les élus locaux « au plus tard le 1er janvier 2023 ». C’est le cas du bâtiment qui pèse 25% de GES, tout comme celui des travaux publics. Via sa fédération nationale, cette branche a, elle, déjà mandaté trois cabinets de conseil et a ainsi découvert que l’empreinte carbone des flux de biens, d’énergie et de personnes empruntant ses infrastructures représentait 50% des émissions de gaz à effet de serre, contre 3,5% pour l’acte de construire.
La face la plus visible du BTP
C’est peut-être « rien », mais cela reste la face la plus visible du BTP. Qui n’a jamais toussé après avoir inhalé les gaz d’échappement d’un engin de chantier ? Qui ne s’est jamais étonné que les groupes électrogènes tournent encore au diesel ?
« Peu de véhicules lourds et d’engins permettent des alternatives au gazole et coûtent jusqu’à trois fois plus chers. Il y a assez peu de soutien public », rétorque-t-on à la Fédération nationale des travaux publics.
Cela est peut-être en train de changer. Le 26 septembre dernier, le loueur de matériels Loxam a annoncé l’obtention d’un prêt de 130 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour accélérer ses acquisitions dans des engins alternatifs. Outre un camion-benne électrique loué à un artisan depuis 2021, il propose un groupe électrogène à hydrogène.
« Sur ce sujet, Loxam accumule en ce moment une courbe d’expérience. Sachant qu’un chantier a toujours une durée de vie limitée, l’hydrogène permet de traiter le sujet de l’énergie temporaire. Il peut devenir une alternative au diesel pour des matériels lourds », martèle son directeur général France, Olivier Grisez.
« L’électrification et l’hydrogénéisation des camions et des engins de chantier, ça fume moins certes, mais cela ne fait que délocaliser la pollution vers les sites de production des engins et de l’énergie », persifle David Habrias, directeur général et fondateur de Kardham, groupe spécialisé dans l’immobilier d’entreprise.
Des solutions de substitution 20 à 50% plus chères
D’autant que certes, des premiers matériels fonctionnant avec des piles à combustible existent sur des pelles de plus de vingt tonnes et que plusieurs motoristes développent des moteurs à explosion hydrogène et réalisent des tests sur les émissions de GES, mais ces solutions de substitution coûtent à ce jour 20 à 50% plus chères. Pour accélérer la transition, les dispositifs de suramortissement mis en place ces dernières années pour accompagner la migration vers des moteurs thermiques moins polluants doivent être adaptés sur le modèle des certificats d’économie d’énergie (CEE – payés par les énergéticiens) ou du bonus écologique, exhorte le patron de Loxam.
En termes d’alternative au gazole, TotalEnergies déclare, de son côté, avoir conclu un partenariat avec Saria qui collectera et approvisionnera la future bioraffinerie de Grandpuits (Yvelines) en huiles de cuisson usagées et graisses animales, matières premières éligibles à la production de carburant aérien durable. Ce biocarburant sera majoritairement destiné au secteur aérien, notamment pour les aéroports d’Orly et de Roissy, mais il sera « parfaitement adapté » aux moteurs thermiques, et donc aux engins et notamment aux groupes électrogènes. « Il permettra de réduire d’au moins 80% les émissions de CO2 », assure Elisa Coeuru, directrice de la compagnie en Île-de-France.
« Un chantier basse émission, ça a un coût mais ça a de la valeur pour les élus et pour les riverains en termes de bruit, qualité de l’air et émission de gaz à effet de serre », dit encore Olivier Grisez, DG de Loxam France, qui travaille avec Carbon4 pour établir un modèle d’équivalent CO2 en fonction du nombre d’heures d’utilisation.
« Le matériel, c’est 20% des GES d’un chantier. En matière de durabilité, il est assez logique de recourir de plus en plus à la location : c’est s’assurer à la fois d’un meilleur entretien et d’une meilleure maintenance, mais aussi de faire les bons choix de matériels à moyen-terme » », appuie, pro domo, son concurrent Olivier Colleau, président exécutif de Kiloutou.
Deux limites
Lui teste des motorisations gaz – pas de particules fines, insiste-t-il – et électriques sur ses véhicules de livraison ainsi que des vélos cargos pour livrer l’outillage en zone urbaine. S’agissant des engins électriques sur les chantiers, ils doivent « dépasser deux limites », relève le loueur.
« Ils nécessitent un accès à des solutions de recharge qui sont assez rares sur les chantiers : c’est un sujet d’infrastructures publiques qui demande à se projeter dans le temps long – bien souvent au-delà d’un mandat électoral -. Ces matériels sont par ailleurs différents de leurs équivalents thermiques : il faut former nos équipiers en interne à l’entretien et à la maintenance de ces nouveaux engins, sans oublier nos clients qui les utilisent », poursuit le patron de Kiloutou.
« Il y a dix ans, lorsque nous avons commencé à traiter le sujet de nos émissions indirectes – c’est -à-dire celles de nos clients – il n’était pas vraiment à l’agenda de leurs préoccupations. Ces deux dernières années, nous avons vu le secteur s’en saisir, c’est pourquoi nous devons accélérer la recherche de solutions en travaillant en filière », enchaîne Olivier Colleau.
Le recours au béton bas-carbone
Il ne croit pas si bien dire. Ne parlez pas à Florence Marin-Poillot, directrice Innovation, Environnement & Qualité chez Vinci Construction de « chantier zéro émission », elle vous rétorquera que c’est synonyme de « zéro activité ». A son échelle, elle travaille sur les trois scopes : le scope 1 c’est-à-dire la consommation d’essence, le scope 2 la consommation d’électricité, le scope 3 en amont, avec les matériaux et le scope 3 en aval, avec l’exploitation des bâtiments et des infrastructures. Sachant que le ciment, qui entre dans la composition du béton, représente 7% des émissions mondiales de CO2, la filiale du géant du BTP dit avoir sa propre gamme de solutions pour généraliser le béton bas-carbone avec une formulation réduisant jusqu’à 60% les émissions de GES tout en gardant les mêmes propriétés.
« C’est notre propre cellule de recherche et développement qui conçoit les formulations béton bas carbone mis en œuvre par des partenaires locaux. Par exemple, sur le CHU de Nîmes, nous allons éviter le rejet de plus de 1.000 tonnes de CO2 », avance Florence Marin-Poillot, directrice Innovation, Environnement & Qualité chez Vinci Construction.
L’expression « chantier zéro émission » fait également tiquer le directeur général et fondateur de Kardham, spécialisé dans l’immobilier d’entreprise.
« Le label ”chantier zéro carbone” existe mais comme toute certification, c’est parfois marketing, encore un peu balbutiant. Certains font de la communication et d’autres agissent plus concrètement », relève-t-il.
L’herbe à éléphant, cette solution miracle testée par Alkern en Normandie pour faire du béton biosourcé
Une expression qui fait tiquer les professionnels
Son groupe a donc sa propre charte dite ”chantier responsable” ou ”chantier propre” qui prend en compte l’analyse du cycle de vie du bâtiment, en regardant toute la chaine de production des GES de l’approvisionnement des matériaux jusqu’à leur recyclage ou leur réemploi. « Des progrès ont lieu, par exemple des fournisseurs de béton développent par le transport fluvial », note-t-il.
Chez Colas, la directrice Environnement Anne-Laure Levent préfère, quant à elle, évoquer des « chantiers avec des émissions carbones réduites ». La filiale de Bouygues spécialisée dans la construction de rails et de routes a décidé de rendre « plus lisible et plus détaillée » sa comptabilité carbone conjointement avec sa direction financière afin de calculer son empreinte carbone globale en se basant sur ses dépenses.
« Cela permet de bien définir les sources des émissions carbones des chantiers en fonction de leur typologie et de pouvoir faire de la pédagogie auprès des collaborateurs », souligne la dirigeante.
Parmi les actions mises en place : le suivi et la réduction des consommations de carburants grâce des formations d’écoconduite et à la diminution des taux de ralenti, c’est-à-dire la réduction du temps où le moteur tourne à vide. L’entité revendique également la mise en place d’un carburant biosourcé, composé à 100% de colza cultivé et transformé en France.
Le quatrième groupe de BTP français, NGE, travaille, lui, avec la jeune pousse Hiboo qui recueille, restructure et analyse les données de plus de 20.000 matériels en France et en Europe. Autant de data qui permettent de mesurer les consommations réelles de carburant, le taux de ralenti et la durée d’utilisation.
« L’analyse et le traitement de ces informations peuvent mesurer l’empreinte carbone des chantiers et piloter les actions destinées à la réduire », souligne le CEO de la startup Clément Bénard.
Des investissements colossaux
Reste que les investissements sont colossaux, quel que soit le scénario entrepris par le secteur – celui de la sobriété fondée sur la limitation des consommations et des usages, ou celui de l’innovation reposant sur l’hydrogène et l’électrification massive. Selon les équipes d’experts mandatés par la Fédération nationale des travaux publics, la première hypothèse coûterait près de 16,2 milliards d’euros par an d’ici à 2050, quand la deuxième reviendrait à 29,9 milliards annuels. Soit entre 486 et 897 milliards d’euros. Dans le bâtiment, la nouvelle réglementation environnemental…